16 de enero de 2011

Lucidez.

"Lucidité: il y a chez Henry un manque de sentiment (non un manque de passion ni d'émotion) que trahit l'importance qu'il donne au sexe et aux mots. Lorsqu'il parle des autres femmes, ce dont il se souvient c'est de leurs défauts, de leurs caractéristiques sexuelles, ou des disputes. Le reste est soit absent, soit sous-entendu. Je n'ai pas encore réussi à le determiner. Mais les sentiments sont des entraves. Il ne faut pas adorer Henry comme être humain, mais comme monstre de génie. Il peut avoir le coeur tendre, mais sans discrimination. Par generosité, il a donné à Paulette la paire de bas que j'avais laissée dans son tiroir, ma plus belle paire, alors que je portais des bas reprisés afin d'économiser de l'argent pour lui faire des cadeaux. L'argent que je lui ai envoyé d'Autriche pour une femme, il l'a dépensé pour m'acheter des disques. Pourtant, il a volé cinq cents francs sur la somme qu'Osborn laissait à sa petite amie avant de partir en Amérique. Il donne à mon chien la moitié de son bifteck, mais il garde le supplément de monnaie que lui a rendu par erreur un chauffeur de taxi. Ce cynisme, que l'on retrouve aussi chez June, me stupéfie et je m'attends toujours à en être un jour la victime, même s'il me jure qu'il ne pourrait jamais agir de la sorte avec moi. Et jusqu'ici il n'a fait preuve à mon egard que de la plus grande délicatesse. Il n'a pas hésité à m'assener de cruelles verités - il est tout à fait conscient de mes défauts -, ce qui ne l'empêche pas de succomber au charme, à la tendresse. Pourquoi ai-je autant confiance en lui, pourquoi je crois autant en lui, pourquoi n'ai-je pas peur de lui? Peut-être est-ce une erreur aussi grande que celle que comet Hugo en me faisant confiance. "
--Henry and June, Anaïs Nin